Une apologétique « moderne » des Anciens : la Querelle dans les Pensées

, par Martin, Christophe

p. 67-83

Résumé

Dans les Pensées, la querelle des Anciens et
des Modernes occupe une place certes
modeste, mais nullement négligeable. Les
réflexions de Montesquieu manifestent d’abord
un souci de se tenir à l’écart de toute
polémique. Non content de ménager une
distance temporelle avec son objet et de laisser
ses réflexions inédites, il affirme avec obstination
une position impartiale fondée sur
l’éclectisme et la neutralité. Cette impartialité
ne doit toutefois pas faire illusion : seul le
plaisir procuré par la lecture des Anciens vaut
d’être noté et exige explication aux yeux de
Montesquieu. Tout se passe comme s’il s’efforçait
de justifier un goût paradoxal pour les
Anciens, qui le met en contradiction avec des
affinités intellectuelles le situant « naturellement
 » plutôt du côté des Modernes. Au
reste, les explications que Montesquieu
donne de son goût pour l’Antiquité semblent
beaucoup moins redevables aux arguments
des Anciens qu’à des principes de lecture
« modernes » faisant l’objet d’un retournement
paradoxal au profit d’Homère.

Abstract

In the Pensées, the Quarrel of the Ancients
and Moderns occupies, to be sure, a modest
position, but not a negligible one. Montesquieu’s
reflections manifest in the first place a
concern to steer clear of all polemics. Not
content to preserve a temporal distance from
his object and leave his reflections unpublished,
he insistently affirms an impartial position
based on eclecticism and neutrality. This
impartiality must nevertheless not deceive
us : only the pleasure provided by the reading
of the Ancients is worthy of being noted and
demands explanation in Montesquieu’s eyes.
It is as if he were attempting to justify a paradoxical
taste for the Ancients, which places
him in contradiction with intellectual affinities
that situate him “naturally” rather on the
side of the Moderns. Moreover, the explanations
which Montesquieu gives for his taste
for Antiquity seem to be owing much less to
the Ancients’ arguments than to “modern”
principles of reading which are the object of
a paradoxical turnaround, to the benefit of
Homer.